Qui mieux que John Moore pourrait illustrer une exposition dédiée à la couleur ? Lui qui a choisi l’aluminium pour son aptitude à se laisser teindre et encrer autant qu’anodiser…

J’ai rencontré John lors d’une exposition à Londres en 2014. Son nom m’avait été soufflé par un de mes clients, collectionneur, et je fus immédiatement intriguée par ses pièces délicieusement colorées et par son audace à réaliser des colliers d’une envergure impressionnante.

 

John Moore est orfèvre et designer. Il utilise l’or et l’argent pour leur beauté et le plaisir qu’il a à les travailler, mais c’est l’aluminium qui l’a envouté lors de sa toute dernière année d’études d’Art et de Design à la Manchester Metropolitan University.

Ce fut pour lui une révélation de découvrir les propriétés exceptionnelles de l’aluminium anodisé, un métal qui permet de réaliser des parures à la fois légères, volumineuses et colorées. Depuis, il n’a eu de cesse de mettre au point des bijoux mêlant ce métal à l’argent ou à l’or et en veillant à leur perfection comme un joaillier.

John Moore Jewellery

En 2016, il a reçu la plus haute distinction de la Goldsmith’s Company pour son collier « Verto », en aluminium, caoutchouc et diamants, une pièce qui rappelle les « fraises » de la fin du 16ème siècle, mais j’ai une préférence pour ses bijoux multicolores.

Award winning John Moore Jewellery

Curieuse de comprendre son travail, je profitai d’un voyage à Londres pour faire un détour par son atelier à Brighton.

Devant le bâtiment des années 60 qui abrite l’atelier, on est loin de l’image de carte postale d’un Brighton qui s’étend le long d’une plage de galets et son fameux « pier » 1900.
L’immeuble, construit  pour abriter des ateliers d’industries de précision est aujourd’hui investi par les start-ups en nouvelles technologies et les ateliers de design ou de graphisme.

Couloir John Moore Jewellery

Mais une fois poussée la porte du studio, on est frappé par l’atmosphère pimpante qui règne dans l’atelier et l’accueil du  facétieux John est à l’avenant.
L’avantage de sa localisation est que le créateur a pu s’appuyer sur les compétences du dernier ingénieur présent pour se faire aider à mettre au point des outils pour sa presse centenaire.

Alors que je m’attendais à trouver des cartons pleins d’éléments en aluminium, teintés, découpés et cintrés, dans un simple atelier de finition, je fus étonnée de me retrouver dans un atelier de bijoutier traditionnel avec établi, pinces, chalumeau et outils de précision.

Partant de boucles d’oreilles Elytra posées sur l’établi, (voir photo ci-dessous), John m’expliqua le cycle de leur réalisation :

John Moore, Boucles Elytra XXL

Il commence par teindre des plaques d’aluminium, d’environ 15 par 20cm en une seule couleur ou en dégradé. Il faut savoir que les teintures sont « transparentes » et que la couleur finale dépendra du temps du bain. On peut renforcer la couleur  (ou la modifier en additionnant une complémentaire  mais on ne peut atteindre une couleur plus claire que l’aluminium naturel, gris clair.

L’application de la teinture prend une journée ou plus car elle requiert une longue mise en place et un espace sans poussière, entièrement dégagé pour le séchage. Ce jour-là, il prépare ses couleurs pour les 6 mois à venir.

Une fois teintées et séchées, les plaques seront découpées une par une grâce à un gabarit d’acier placé dans la presse. Chaque élément est ensuite émerisé, troué et mis en forme, grâce à une forme en bois ou en plexiglass qu’il a sculpté lui-même.

John Moore Jewellery, outils de mise en forme

Atelier John Moore Mise en forme Boucle Flight

Légende : Boucle flight : Avant, posée sur le socle de caoutchouc rouge, pendant la mise en forme et après mise en forme. Remarquer que les boucles ne sont pas de la même couleur Recto et Verso…

Vient ensuite l’assemblage de chaque pièce. 18 à 30 ailettes pour chaque boucle d’oreilles Elytra par exemple. Devant un collier où sont assemblées plus d’une centaine d’ailettes, je lui demande le temps que cela lui a pris, il me répond alors du tac au tac que s’il le comptait, il pleurerait. (I would be crying…). OK, je n’insiste pas.

Cette visite permet de lever le voile sur un paradoxe : les bijoux de John Moore dont l’allure et la netteté font penser à une fabrication mécanisée sont en fait le résultat d’un travail entièrement manuel. Et même le travail d’un seul homme, ce qu’on peine à croire.

Et toujours le dilemme des artistes : le plaisir étant dans la recherche et la mise au point d’une nouvelle idée, il passe beaucoup de temps en expérimentation, tâtonnements et fabrication de maquettes.
Un geste répétitif ennuie très vite. Cela signifie qu’un geste maîtrisé, efficace pour réaliser un modèle  devient ennuyeux et le modèle sera assez vite abandonné éloignant ainsi l’espoir de toute rentabilité.

John Moore, collier flight double

Mais la bonne nouvelle est ce foisonnement d’idées et ce plaisir de la recherche qui permet au créateur d’avancer, de se limiter à de petites séries et donc à nous faire rêver.

Atelier de John Moore Crédit photo Philip Traill

Crédit photos :
Bijou sur mannequin : Chris Bulezuik, John Moore à l’établi : Philip Traill

Voir des bijoux de John Moore

Voir son site John Moore Jewellery